[Trombine de citoyenne] Laurence Barthe, géographe de la ruralité

Enseignante-chercheure en géographie à l’université Toulouse Jean-Jaurès, Laurence Barthe étudie les territoires ruraux sous le prisme de leur occupation et du développement local. Elle est intervenue en conclusion des premières assises des Jeunes des Territoires ruraux (JTR), du 12 au 14 juin 2024, dans l’Ariège. Elle partage des réflexions issues de son travail.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux territoires ruraux ?

Je me suis intéressée à geographie après ma prépa, parce que j’étais profondément curieuse de comprendre la relation des sociétés à leurs espaces, leur façon d’habiter leurs territoires. C’est aussi lié à ma trajectoire personnelle et géographique. J’ai vécu en milieu rural, je suis fille de paysans. Mes parents sont retournés s’installer dans petit village dans les années 70. J’ai développé cette curiosité sur la façon dont l’espace se transforme, comment on est reliés aux autres, je voyais les activités associatives… J’ai eu envie de comprendre comment fonctionnait ce territoire. Le développement local, l’innovation locale est mon fil rouge.

Quelle est votre définition des territoires ruraux ?

Ils se caractérisent par un habitat diffus, une prépondérance des espaces non urbanisés, qu’ils soient agricoles, forestiers, etc. C’est un marqueur de la ruralité et ça a des conséquences sur le mode de vie social. Quand on vit dans un espace de faible densité, le rapport à l’espace et aux distances est différent, on est amené à se déplacer pour accéder à des services éducatifs, de santé, culturels… Cela pose la question de l’accessibilité, geographique mais aussi sociale. Dans ces territoires, l’identité est souvent marquée par l’appartenance à des collectifs de plus petite taille, avec la question de l’interconnaissance et des effets de contrôle social qu’elle peut amener. Il y a une singularité dans la façon d’occuper l’espace et de vivre en collectif, d’accéder aux services, mais ce sont des espaces marqués par des dynamiques contrastées, selon que l’on est plus ou moins proche des villes, au nord ou à l’ouest…

« Les territoires ruraux présentent tous une attractivité aujourd’hui »

On a beaucoup insisté ces dernières années sur la question du renouveau rural, qui reste une réalité contrastée, parce que la population continue à baisser dans certains territoires, le vieillissement naturel empêche d’avoir cette renaissance partout. C’est intéressant de constater la diversité des trajectoires des espaces ruraux, liée à leur histoire économique, mais qui présentent tous une attractivité aujourd’hui. On a l’envie d’y rester, de s’y installer, avec une grande diversité d’attentes : développer un projet de vie, reconversion professionnelle, retraite… Cette attractivité peut être choisie ou subie, si on ne peut pas se loger ailleurs par exemple.

Vous avez insisté dans votre intervention aux JTR sur l’importance de l’action publique dans ces territoires…

Les territoires ruraux ont suscité l’attention des politiques publiques, d’abord dans une perspective d’appui à la culture, puis de diversification d’activités, puis elle a glissé vers des politiques d’appui au développement local. Les années fastes ont été les années 1980-90 avec la décentralisation et les programmes européens LEADER, qui venaient accompagner les initiatives locales pour contribuer à transformer la vie dans ces territoires. Aujourd’hui, les politiques sont souvent plus sectorielles : tantôt sur les services, tantôt sur la culture, le numérique, la santé, la revitalisation des centres-bourgs… Il y a une accélération de dispositifs qui peinent à avoir une vision transversale, systémique des besoins et problématiques des espaces ruraux.

Les politiques publiques ont basculé vers la méthode de l’appel à projets, dans une logique d’uniformisation : tout le monde se positionne, répond à l’appel avec des attentes qui sont un peu partout les mêmes. Cela banalise la capacité d’innovation, de spécifité que peuvent porter les territoires, leur capacité à porter leurs propres scénarios. Il y a une tension autour de la reconnaissance de cette spécificité des territoires et le besoin d’avoir des politiques structurelles sur de grands services, l’éducation, la justice… Ils sont parfois dilués par une variété de dispositifs sectoriels.

Quelle est la place des jeunes dans tout ça ?

On constate depuis une quinzaine années un fort intérêt et de la part des territoires en direction de ces jeunes de milieu rural. Tout le monde a envie de les garder, envie qu’ils reviennent. Beaucoup d’actions locales sont engagées sur ces questions. Ce que j’ai beaucoup ressenti durant ces journées JTR, c’est de ne pas parler à leur place mais d’être attentif, écouter, agir avec, sans plaquer les grilles de lecture des adultes. Plutôt que de vouloir pour eux, il est important de construire à partir d’eux. Il y a des moments où il faut aussi savoir les laisser à leur place, dans une certaine discrétion, dans les aspirations qu’ils peuvent avoir.

Vous présentez les territoires ruraux comme des lieux de l’universalité, que voulez-vous dire ?

Je m’intéresse à la notion du bien-vivre : qu’est-ce qui fait qu’on vit bien dans un territoire ? Les socles fondamentaux sont partout les mêmes : avoir accès à une éducation de qualité, avoir la possibilité de suivre un cursus et d’être accompagné… Parfois, les obstacles peuvent être les mêmes et ce qui compte, ce sont les leviers que l’on va pouvoir trouver, en sachant que les réponses vont jouer sur d’autres ressources. On a trop tendance aujourd’hui à enfermer les choses dans une catégorisation : l’urbain serait métropolisé et ouvert au monde, le rural serait déclassé. Non, le rural peut être ouvert au monde. Ce qui compte, c’est l’accompagnement, la facilitation qu’on va apporter.

« Ce qui fait lien, c’est ne pas s’enfermer dans une république des territoires où chacun serait différent de l’autre »

Ce que je trouve intéressant, c’est de favoriser l’altérité, la rencontre, savoir sortir de sa zone de confort, de son territoire, aller parler avec d’autres ailleurs pour dire que certes on est différents, mais qu’on partage des choses communes, des rêves, des envies, des colères. On n’est pas assignés dans un seul lieu. Peut-être que l’on a à travailler ce qui nous singularise dans ces territoires, mais ce qui fait lien, c’est de ne pas s’enfermer dans une république des territoires où chacun serait différent de l’autre.

Comment voyez-vous l’avenir des territoires ruraux ? Vont-ils devenir de plus en plus attractifs au regard des enjeux environnementaux et sociétaux ?

Aujourd’hui, tous les territoires sont confrontés à de grands enjeux sociétaux, écologiques, environnementaux. Dans les territoires ruraux comme ailleurs, il va falloir apprendre à faire avec ce que l’on a. C’est justement une qualité de ces espaces, la capacité à être innovant, résilient, à construire des alternatives là où des choses ont pu être défaites et abandonnées. C’est un vrai ressort pour penser demain, à la fois en termes de ressources protégées, valorisées dans ces espaces, et dans la capacité à faire collectif, à faire du commun, à traiter les problèmes tels qu’ils se posent. Attention cependant, ces territoires ont de vrais potentialités mais ça ne garantit pas tout. Il y a le risque de rentrer dans un jeu compétitif entre ceux qui pourront bien réussir ces transitions et ceux qui seraient le rebut. Nous avons de vraies questions à nous poser sur ces transitions, comment elles restent justes écologiquement et socialement, et comment construire à travers une certaine réciprocité et complémentarité entre les territoires ruraux et ceux plus denses et urbanisés.

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