En choisissant de fonctionner avec un collège de gestion, la Fédération des centres sociaux du Périgord tente de relever un défi démocratique. Elle vise la diversité, la représentativité et l’égalité au sein de sa gouvernance. En quoi cette démarche est-elle pertinente ? Quelles sont les pistes efficaces pour amener les habitants à s’engager dans un centre social ? Éléments de réflexion avec Christelle Michaud, déléguée départementale à la vie associative, et Catherine Neveu, anthropologue et directrice de recherche au CNRS.
Depuis 2022, la Fédération des centres sociaux du Périgord a remplacé le conseil d’administration (CA) par un collège de gestion composé de huit membres, représentant la diversité des membres actifs du réseau (lisez notre article dédié pour tout savoir sur ce nouveau collège de gestion). L’objectif est de favoriser le renouvellement des instances de gouvernance, notamment en limitant le mandat dans la durée (deux ans renouvelable une fois) et en évitant le cumul (les présidents des structures adhérentes ne peuvent en être membres).
Cette initiative est observée avec intérêt par Christelle Michaud, déléguée à la vie associative auprès de la DSDEN (Direction des services déparementaux de l’Éducation nationale). « C’est une démarche très originale de la part de la fédération, et qu’on peut saluer, estime cette référente du monde associatif en Dordogne. Aujourd’hui, malheureusement, peu de structures se posent la question du renouvellement de leur gouvernance dans les associations en règle générale. C’est particulièrement vrai en Dordogne et encore plus prégnant dans les secteurs sportifs où les bénévoles vieillissent, sans qu’on se pose la question de la transmission. »
Aller vers des formes de gouvernance plus horizontales
D’après Christelle Michaud, ce collège de gestion qui mêle salariés des centres sociaux, bénévoles et jeunes est une « méthode innovante » qui pourrait servir d’exemple. Surtout, elle estime que c’est un fonctionnement en phase avec l’époque, où les gens, en particulier les jeunes, « recherchent des modalités de gouvernance plus horizontales et moins pyramidales ». Ces derniers pourraient donc être plus enclins à s’engager.
L’anthropologue Catherine Neveu, directrice de recherche au CNRS et spécialisée dans la question de la citoyenneté et de l’engagement dans les centres sociaux, est elle aussi très attentive aux questions de gouvernance. « C’est plutôt bien de voir qu’il y a des expérimentations tentées pour trouver des formes de gouvernance plus démocratiques, plus ouvertes, moins enfermées dans des cumuls de position un peu excessifs. C’est extrêmement important », juge la chercheuse. L’idée d’un mandat court et du non-cumul au sein du collège de gestion lui paraît intéressante.
La reproduction des rapports de domination, un point de vigilance
Par ailleurs, elle attire l’attention sur quelques points de vigilance. Car malgré de bonnes volontés, « il est possible de reproduire les rapports de domination qui existent dans la forme classique du CA ». Elle fait ici référence à des rapports de domination souvent inconscients et intégrés, des hommes sur les femmes, des personnes blanches sur les personnes racisées, des personnes âgées sur les jeunes, des classes moyennes sur les classes populaires… « Il peut y avoir un décalage entre les membres d’un CA, plutôt issus de classe moyenne, et le public des centres sociaux, beaucoup plus populaire », pointe l’anthropologue.
Ainsi, les binômes professionnel/bénévole mis en place dans le nouveau collège de gestion, afin de rassurer et d’accompagner les bénévoles, pourraient contribuer si l’on y prend pas garde à « reproduire l’image que les professionnels seraient plus investis et plus en capacité que les bénévoles », met en garde Catherine Neveu. Les rapports de domination peuvent aussi s’exprimer dans la posture des professionnels.
Diversifier les espaces d’engagement, favoriser les groupes de pairs
La chercheuse invite donc les fédérations de centres sociaux à aller encore plus loin, en expérimentant de nouveau espaces d’engagement qui permettent aux habitants de s’investir spontanément dans des projets qui leur plaisent, sans être contraints de siéger dans une instance. Elle cite l’exemple de la Fédération des centres sociaux Centre Val de Loire, qui a mis en place des commissions thématiques (vieillissement, numérique, etc.) avec des bénévoles qui ont envie de travailler sur ces questions. Ces commissions se réunissent tous les deux mois et comptent chacune un membre du CA pour faire le lien et veiller à ce que les questions de justice sociale et de démocratie soient bien présentes dans le débat. « On a ainsi bien plus de monde qui participe à la définition de l’orientation, à la mise en place d’actions et à la production de ressources », note Catherine Neveu.
Une piste efficace pour renforcer la démocratie serait donc de s’appuyer sur les centres d’intérêts et les motivations des personnes en inventant des espaces pour cela. La démultiplication des espaces d’engagement permettrait de contourner les biais que l’on retrouve dans un CA et dans la démocratie représentative en général, à savoir une forme de reproduction de domination sociale, où ceux qui maîtrisent la parole en public et l’argumentation rationnelle sont favorisés.
De même, Catherine Neveu encourage les groupes de pairs pour fabriquer une parole collective plus forte et la porter publiquement, ou encore une démarche de Croisement des savoirs et des pratiques telle que mise au point par ATD Quart monde, qui vise à légitimier la parole de chacun, y compris des plus précaires. « Il existe des solutions pour dépasser ou amoindrir les effets de domination et laisser place à la diversité. Il fait se donner les moyens. »
Le renouvellement démocratique, une nécessité
En conclusion, les deux femmes s’accordent sur l’importance de ce défi démocratique. Car en l’absence de renouvellement, les associations risquent de passer à côté des projets qui intéressent vraiment les habitants, voire de disparaître purement et simplement si leurs dirigeants ne trouvent pas de remplaçants prêts à s’investir. « Impliquer les adhérents est profitable à la société tout entière. Avoir des citoyens engagés, faire ensemble, travailler ensemble, ne serait-ce que pour une action collective, ça a du sens, ça permet aux gens de se rencontrer et de sortir de l’isolement », croit Christelle Michaud.
Or, c’est précisément la vocation des centres sociaux et espaces de vie sociale que d’être « un foyer d’initiatives porté par des habitants associés appuyés par des professionnels, capables de définir et de mettre en oeuvre un projet de développement social pour l’ensemble de la population d’un territoire », comme le rappelle la Charte fédérale des centres sociaux et socioculturels de France. Pour répondre à cette ambition, il est capital de poursuivre ce partage de réflexion et cette quête vers plus de démocratie.
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