Les centres sociaux et espaces de vie sociale sont des lieux où les jeunes se rencontrent, coconstruisent et développent une vision du monde qui les accompagnera à l’âge adulte. Au coeur des valeurs du réseau figure l’égalité, notamment entre les sexes. La place des filles et la lutte contre les stéréotypes de genre font l’objet d’une attention particulière de la part des structures, conscientes du rôle qu’elles peuvent jouer auprès de ceux qui bâtissent la société de demain.
L’égalité entre les femmes et les hommes est plus que jamais un sujet d’actualité. C’est même la grande cause du quinquennat présidentiel, autour de quatre piliers : la lutte contre les violences faites aux femmes, la santé des femmes, l’égalité professionnelle et économique et la culture de l’égalité. Acquérir cette culture de l’égalité nécessite une éducation au respect mutuel et une lutte contre les stéréotypes de sexe dès le plus jeune âge. La Convention pour l’égalité entre les filles et les garçons et entre les femmes et les hommes dans le système éducatif (2019-2024) engage tous les ministères responsables d’une politique éducative.
Mais si la culture de l’égalité s’enseigne à l’école, c’est loin d’être le seul endroit où les changements sociétaux peuvent s’opérer. Les centres sociaux et espaces de vie sociale (EVS) travaillent au quotidien à transmettre cette culture anti-sexiste auprès des jeunes, depuis bien longtemps. « Cela fait partie intégrante de la pédagogie qu’on met en place », indique Lionel Rami, responsable du point jeunes du centre social Vivre Mieux Ensemble (VME) à Port-Sainte-Marie (47). L’animateur est très attentif sur ces questions, « c’est d’autant plus important qu’il existe à Port-Sainte-Marie des communautés où la place de la femme est plutôt restreinte ». Aussi, il ne laisse rien passer : « Quand j’entends des réflexions comme quoi une fille c’est à la cuisine ou au ménage, le garçon se retrouve avec un balai entre les mains ! L’idée du collectif, c’est que tout le monde est à la même enseigne, on fait tout en mixité, il n’y a aucune différence entre les filles et les garçons. »
Le rôle influent des animateurs jeunesse dans la lutte contre le sexisme
Lionel Rami veille à ouvrir l’esprit des jeunes, afin qu’ils se sentent à l’aise de discuter de tous les sujets intimes, sans tabou ni pression de la « normalité » : sexualité, orientation sexuelle, recherche identitaire… Il a conscience que par ses mots, les gestes (par exemple, s’autoriser à pleurer en tant que garçon), son style (porter les cheveux longs), il peut influencer les adolescents. Une responsabilité qui exige de s’être lui-même déconstruit pour ne pas reproduire involontairement des biais de genre. En 2023, il a aussi monté avec le centre social une équipe de football féminin, qui a fait l’objet d’une exposition photographique dans les vitrines de la ville.
Si les garçons et les filles fréquentent à peu près en nombre égal le point jeune, il existe toutefois des freins contre lesquels il est difficile de lutter. Il existe des formes de replis, de familles, de communauté: « les garçons viennent facilement, mais à partir d’un certain âge, il est très compliqué pour les filles de venir. Elles peuvent être cloisonnées dans un rôle de maman bis à la maison. Une maman voulait inscrire sa fille, mais en voyant qu’il y avait des garçons, elle a finalement renoncé », relate Lionel Rami.
Grandir à la campagne : des implications différentes pour les filles
Le milieu dans lequel évoluent les jeunes filles a un impact sur leurs choix de vie. De façon générale, les filles qui grandissent à la campagne ont des options un peu plus réduites que les garçons. Elles sont plus sensibles au poids de la réputation et des traditions, plus enclines à s’occuper des autres (le « care » auprès de leur famille, puis belle-famille) et davantage concernées par les emplois précaires. Elles ont en conséquence plus tendance à être ancrées dans leur territoire, quitte à remodeler leurs aspirations professionnelles.
Ce sont là quelques observations synthétiques tirées des études réalisées par les sociologues Yaëlle Amsellem-Mainguy (autrice de « Les filles du coin – Vivre et grandir en milieu rural », 2023), Benoît Coquard (« Ceux qui restent – Faire sa vie dans les campagnes en déclin, 2019) ou encore Sophie Orange (« Des femmes qui tiennent la campagne », 2022). Certains de leurs travaux peuvent être retrouvés dans le n°212 de la revue « Études rurales », paru en 2023.
Déconstruire les biais de genre dans les centres sociaux et EVS
En milieu rural, les centres sociaux et EVS peuvent offrir d’autres perspectives aux filles, les confronter à des modèles différents et positifs. « Bien évidemment que les centres sociaux et EVS ont un rôle à jouer. Mais est-ce que tous ont des équipes et des formations pour prendre conscience des biais de genre et les déconstruire ? Ces structures font face à la raréfaction de l’argent public et doivent toujours faire plus avec moins », pointe la géographe Mélanie Gambino, qui travaille sur les pratiques des jeunes dans les territoires ruraux.
Le risque est de reproduire les biais de genre sans s’en rendre compte. Un exemple concret ? Parler de contraception uniquement aux filles, sans impliquer les garçons. La chercheuse donne des pistes de réflexion : « Les centres sociaux et EVS ont des enjeux à s’approprier sur des sujets qui intéressent les jeunes, dont la sexualité, le harcèlement, les questions de santé et de prévention. » Un autre moyen de favoriser l’égalité serait par exemple de « coconstruire des chartes » qui garantissent des comportements respectueux…, jusqu’à l’utilisation du babyfoot !
Le parcours inspirant de Maloë, 19 ans, agricultrice en devenir
Maloë Colun, 19 ans, fréquente le Diapason à Marsac-sur-l’Isle (24) depuis plusieurs années. Elle a le sentiment d’y avoir toujours été écoutée, d’avoir pu prendre sa place. « Au centre social et dans le réseau jeunes, j’ai l’impression qu’on est même plus de filles que de garçons », remarque la jeune femme. Victime de harcèlement scolaire, Maloë a trouvé au centre social une bienveillance, un soutien, une écoute et des amis qui l’ont aidée à envisager l’avenir avec plus de confiance. Elle a même mené une campagne de sensibilisation contre le harcèlement dans son ancien lycée.
Déterminée, elle a fait le choix de s’orienter vers le monde agricole. Elle est actuellement en BTS ACSE (Analyse, conduite et stratégie de l’entreprise agricole) à la MFR de Périgueux, avec l’objectif de créer son élevage de brebis ou de chèvres. « C’est assez compliqué de frayer son chemin là-dedans quand on ne vient pas du milieu et quand on est une fille. On m’a demandé si j’étais sûre », raconte l’étudiante, employée en alternance dans une exploitation agricole. Dans sa promos de vingt élèves, elles ne sont que quatre filles. Les remarques sexistes ou les propositions d’aide pour porter du matériel, elle connaît. « Je dis à mes patrons : je peux le faire, je suis une femme forte et indépendante ! », s’amuse Maloë.
Comme elle, de nombreuses adolescentes développent leur pouvoir d’agir et leurs ambitions dans les centres sociaux et EVS. Découvrez ainsi les portraits de Manon, engagée dans une association écologique et membre du collège de gestion de la Fédération des centres sociaux du Périgord ; Camille, apprentie à la fédération ; et aussi tous les jeunes, filles ou garçons, qui s’emparent du sujet de l’égalité au sens large et veulent faire évoluer la société.