Recueillir la parole des habitants, leurs besoins, leurs envies, pour les aider à développer des projets, c’est une mission socle des centres sociaux. Mais comment fait-on pour aller vers eux et transformer les échanges en pouvoir d’agir ? Quelles actions ou techniques permettent de capter les habitants là où ils sont et de les mettre au cœur du projet social ? Illustration avec deux centres sociaux du Périgord qui ont su innover et se remettre en question dans une logique émancipatrice.
Les centres sociaux œuvrent au service des habitants d’un quartier ou d’une ville, pas simplement pour eux, mais avec eux. Le centre social est un facilitateur qui les guide, leur donne les clés et les encourage à l’autonomie. La première étape est donc d’aller vers eux, d’être à l’écoute de ce qu’ils vivent, de leurs problèmes et de leurs aspirations, afin d’y apporter des réponses concrètes. Mais comment faire pour les rencontrer, tisser un lien de confiance durable et les inciter à passer à l’action ? La méthode dépend évidemment du public visé (jeunes, seniors, familles…) et du territoire.
Le pouvoir d’agir au cœur du projet social à Coulounieix-Chamiers
Le centre social Saint-Exupéry, implanté dans un quartier prioritaire de Coulounieix-Chamiers (5e ville de Dordogne), a opéré un virage en 2017, en restructurant son projet social autour du développement du pouvoir d’agir des habitants. Les 21 salariés ont été formés à la FAVE (pour « Faire émerger et animer des Actions collectives à Visée Émancipatrice), un parcours de formation-action qui donne un socle commun aux professionnels, réinterroge leur posture et leurs pratiques. « Ça peut secouer, parfois on est dans un processus de résistance. On sort de sa zone de confort« , admet Nils Fouchier, le directeur du centre social. Plusieurs animateurs et une référente famille se dédient à l' »empowerment » des habitants, en animant notamment un conseil citoyen, un conseil de jeunes et des collectifs d’habitants qui travaillent sur l’amélioration de leur cadre de vie, « une formidable porte d’entrée« , observe Nils Fouchier.
En jouant le rôle d’intermédiaire avec les bailleurs sociaux et les élus, le centre social aide les habitants à (re)devenir acteurs de leurs lieux de vie. Installation d’un composteur et de barbecues collectifs, déplacement d’un arrêt de bus, embellissement des entrées d’immeubles, votation sur la rénovation d’une aire de jeux, élaboration d’un projet de city-stade avec des jeunes… sont autant d’actions qui changent leur quotidien. « Il faut être bien formé sur la question des situations à problèmes. Comment on la repère, comment on évalue qu’elle est bien partagée par les habitants ? Puis on met en place une dynamique de groupe, on met ce groupe en mouvement pour qu’il prenne en main la problématique, qu’il soit acteur et pas suiveur« , détaille Nils Fouchier. L’enjeu est aussi de capter les habitants qui ne sont pas dans (encore) cette dynamique. Quid des non-adhérents du centre social ?
« Très vite, sans s’en rendre compte, on peut entrer dans une logique d’activité et de prestation de service, dans une gestion de dispositif, en oubliant petit à petit les habitants » (Nils Fouchier, directeur du centre social Saint-Exupéry)
C’est là qu’intervient la notion d' »aller vers », qui consiste à aller chercher les gens là où ils sont. Les animateurs et la référente famille ont été formés à repérer et cartographier les espaces de rencontre des habitants. Ils abordent les jeunes à la sortie du collège et à la pause méridienne au sein même de l’établissement, proposent un café aux parents à l’entrée de l’école, organisent des « Blabla déj » une fois par semaine dans une salle de classe, installent des barnums avec café au pied des immeubles. Ils « traînent » au city-stade le week-end, au bar en soirée, dans les abribus, interpellent les passants avec une action de « porteur de parole » pour les faire réagir sur un thème… L’organisation de l’emploi du temps des animateurs a été repensée en ce sens depuis six ans. Les effectifs d’adhérents tendent à montrer que cette stratégie est payante : en 2022, leur nombre a pour la première fois dépassé le millier.
Un espace de vie sociale itinérant : IsleCo essaime sur les communes alentours
Un autre exemple d' »aller vers » est donné, cette fois dans un territoire rural, par l’espace de vie sociale IsleCo basé à Douzillac. Depuis le printemps 2022, deux de ses membres se déplacent dans les villages alentours, à raison d’une permanence hebdomadaire pendant deux mois dans chaque commune. « Au début, c’était un jour par semaine pendant un mois, puis on s’est rendu compte que c’était un peu trop court« , précise Natacha Thieffin-Fougère, coordinatrice de l’association. Dans un lieu mis à disposition par les mairies, elle et son collègue Frédéric Jesson proposent un temps et un espace de rencontre aux habitants, ainsi qu’une permanence numérique (photo en tête de l’article). « On avait envie d’ouvrir l’EVS sur un territoire plus large. On va au devant des gens qui ne peuvent pas toujours se déplacer. » IsleCo a déjà essaimé sur six communes du canton : Saint-Aquilin, Chantérac, Saint-Germain-du-Salembre, Beauronne, Sean-Jean-d’Ataux et Sourzac.
L’objectif est de faire émerger des projets dont les villageois pourront se saisir et qu’ils pourront faire vivre après leur départ. Certains ont déjà été lancés ou sont en cours : club de marche nordique, de couture, marché de producteurs, stand itinérant de conversation en patois, cagettes de producteurs… « Au travers des rencontres avec les habitants, les personnes impliquées dans des associations, les élus, les gens qui travaillent sur la commune… la discussion est ouverte et progressivement, des choses émergent. On met en lien les personnes qui vont concourir au projet« , détaille Natacha. En parallèle, IsleCo porte d’autres initiatives itinérantes, comme un atelier d’écriture et un festival du court-métrage.
Innovante, la jeune association a aussi réinventé son mode de gouvernance afin de laisser plus de place aux habitants, sur le mode de la sociocratie. Depuis fin 2022, le conseil d’administration s’est organisé en « cercles » sur différents thèmes. Les pilotes de ces cercles ont été désignés par des élections sans candidats. Mais surtout, le CA organise des rencontres ouvertes aux habitants, aux adhérents, à toutes les personnes ressources du territoire, « pour les inviter à nous rejoindre dans ces réflexions et construire avec eux le projet de demain« , explique Natacha Thieffin-Fougère.
Ces deux exemples, l’un en ville et l’autre à la campagne, offrent un aperçu des ressources dont disposent les centres sociaux pour aller vers les habitants, être à leur écoute et agir à leurs côtés. S’il existes des piliers communs, tels que ceux enseignés dans la FAVE, chaque structure est libre d’inventer ses méthodes d’approche et d’action en fonction de ses moyens et des caractéristiques de son territoire.
➡️ À lire pour aller plus loin :
- Développer le pouvoir d’agir des jeunes : les centres sociaux du Périgord se forment
- L’interview de deux animateurs de la FAVE sur le site de la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France.